Bonsoir à tous

Voilà un petit texte que je viens de finir, entre deux révisions pour mes partiels, j'espère qu'il vous plaira, et que vous le trouverez pas trop lourd. Je serais ravi de répondre à vos commentaires !
Histoire d'une naissance :
Il était une fois dans un village perdu dans la forêt, un grand père qui racontait des histoires. Tous les enfants, réunis autour du feu, le regardaient avec des étoiles dans les yeux, en attendant la prochaine aventure des lutins Irlandais, ou du monstre des abîmes. Mais ce soir là, le vieil homme leur proposa un tout autre récit: «Je vais vous raconter l'histoire de la plus belle femme qu'à connu notre village, et peut être même notre pays. Ses yeux verts étaient deux émeraudes placées sur son visage par les anges éternels. Mes enfants, cette femme a rendu fous de nombreux hommes, et leurs âmes perdues errent toujours dans les brumes profondes de notre forêt.» La voix du vieillard s'assombrit, il baissa le ton et dit : «Je vais vous parler de sa naissance, cette femme a fait son apparition sur notre Terre de la plus surprenante des manières» Il lança un petit regard mystérieux vers les enfants pour capter leur attention et commença son récit :
« Cinq sens éparpillés sont à l'origine de la naissance de la plus belle des femmes»
«C'est dans l'imagination d'un aveugle que naquit la vue de la demoiselle. Dans le noir total se sont formées les couleurs. L'homme ne voyait rien, mais imaginait dans son esprit les pics enneigés colorés par le lumière rose de l'aurore, les reflets rouges du soleil couchant sur les eaux troubles du Gange. Le pinceau de ses pensées caressait le corps nu de la nymphe Calypso pour y faire naître toutes les nuances de l'azur, et elle riait des larmes teintée d'or sous le contact des poils fins. Quand l'homme marchait seul sous la pluie grise de la ville, c'est un voile de gouttes multicolores qu'il traversait dans son esprit. Dans son monde où la vue n'entravait pas l'imaginaire, un vert-gorge rouge de jalousie sifflait sa peur de perdre l'être aimé, tandis qu'un triste agent de police dans son uniforme bordeaux, laissait se noyer ses larmes dans un verre de vin bleu. Ainsi depuis sa naissance la vue virevoltait vivement dans le labyrinthe sombre de la créativité de l'aveugle.
C'est dans un orchestre symphonique que naquit l'ouïe de la demoiselle. Un grand silence précéda cette naissance, puis le chef d'orchestre serra sa cravate, quelqu'un dans la salle éternua. Une violoniste prit doucement sa respiration. L'orchestre gronda des vibrations de dizaines de caisses de résonance, l'ouïe put déployer ses ailes. Elle marchait lentement sur le fil sinueux tracé par la soliste, et manquait parfois de glisser sur le do récalcitrant, misérable fabulateur solitaire, qui hantait les mélodies. Il s'amusait à la tourmenter, sautait de note en note pour la harceler. Mais la voix grave du vieux violoncelle était toujours là pour la rassurer. Dans le public un homme soupira, piano, son amante avait glissé sa main sur sa cuisse, appassionato. Peu à peu le son baissa, le feu des cuivres s'étouffa, la furie des clarinettes s'essouffla. Le silence s'installa, il s'allongea et prit toute la place dans la salle de concert, il était probablement le plus encombrant des participants.
C'est parmi les trésors de l'enfer que naquit le toucher. Dans les entrailles de la terre étaient entreposées les beautés de Satan, tout ce qu'il aimait. L'éclat pourpre d'un rubis illuminait l'orbite sombre d'un crâne humain, des flammes noires et froides dévoraient l'ardeur des âmes perdues en quête de la lumière dorée du jour. Le toucher s'allongea sur un tas de pièces d'or brûlantes. Son corps plongea un peu dans la masse ardente, un jeton roula sur son torse et se posa sur son ventre. La femme qu'il aimait tant vint se blottir contre lui, ses longs cheveux noir le chatouillait, il caressa sa joue si douce, puis porta ses lèvres sur les siennes, elles étaient froides. Il posa son visage contre sa poitrine autrefois si chaude, il ne restait qu'un buste, dans un corset. La bouche et le reste du corps n'étaient qu'illusion, c'était un simple corsage avec un peu de chair, les goûts de Satan étaient semble-t-il discutables. Si les roses de l'enfer étaient coupantes, l'humour du diable était tranchant.
C'est dans la folie d'un travailleur asservi que naquirent l'odorat et le goût. Un jour sur le chantier d'une mine un homme s'écroula sous l'effet de l'épuisement. Sa vision se troubla et sa pensée se brouilla. Sa main se promena sur le sol, il y trouva un morceau de charbon et le croqua. Les yeux fermés, il imagina la tendresse d'une framboise, le jus coulant doucement sur sa langue, doucement sucré. Le goût et l'odorat travaillaient ensemble, ils étaient inséparables et se ressemblaient beaucoup. Le premier était travailleur, il s'alliait au salé contre l'amère errance de son rival le sacré sucré et luttait contre ce dernier qui s'était assis sur le pouvoir de l'acidité. Pendant ce temps l'odorat se mêlait à l'air et jouait avec les arômes, il complimentait les violettes et conspuait le puant putois. Par terre l'homme avait la tête posée contre le sol, la bouche remplie de poussière de charbon. Pas de goût, pas d'odeur, c'était une fausse alerte.
Il y eu un courant d'air dans la salle de concert, et Alizé visita les enfers. Le travailleur sentit le vent soulever la poussière, l'aveugle entendit chanter une fougère. Les vents portèrent les sens loin vers l'orient. Les fragments de vie voyagèrent pendant trois jours et trois nuits, mêlés aux embruns le soir, et à la brume le matin. Sur la mer calme reposait une barque, dans un profond silence quelquefois troublé par de rares clapotis. Dans la petite embarcation était posé un bocal, dans lequel il y avait un cœur inanimé. Les cinq sens soufflé par le vent vinrent entourer l'organe, qui se mit à battre. Le ciel mit sa robe du soir et éteignit la lumière. Le lendemain matin une belle demoiselle était étendue dans la petite barque.»
Le vieillard regarda les enfants, ils étaient tous silencieux, il pu lire une pointe d'admiration dans leur regard, et ça le fit sourire. La grande ourse se reflétait dans leur yeux, elle veillait sur eux et semblait elle aussi écouter l'histoire. Le grand-père dit aux enfant qu'il était l'heure d'aller se coucher. Ils partirent en courant vers leur maison. Il entreprit d'éteindre le feu, quand sa femme s'approcha, elle lui sourit tendrement. Cette petite grand-mère avait un regard intense, porté par deux beaux yeux verts, deux émeraudes éternelles.