Ça fait longtemps que je n'ai pas posté... (je ne me suis pas relue)
Il s'est assis devant le piano. Il attend un peu. Le calme se fait peu à peu en lui. Une paix s'installe au fond de son être. Tout se tait. On sait qu'il y a une suite, on la désire. On ne peut la réclamer à grands cris : il faut patienter, sans parler.
Il effleure délicatement le clavier noir et blanc, sans produire un seul son ; il frémit, comme parcouru par un courant électrique. On retient son souffle : il va jouer.
Ses dix doigts se posent sur le clavier comme autant de danseurs. Ils vont présenter leur chorégraphie bien répétée. Ils ont peur. Ils sont timides. Mais ils danseront quand même – c'est un devoir. Ils savent qu'une fois entrés dans la danse, ils oublient tout, jusqu'à leur propre nom.
Trois, quatre. Deux temps qui durent deux ans. Un long moment de silence, qui annonce la musique, le début du spectacle, comme les trois coups au théâtre. En effet, comme un comédien qui se lance dans une tirade, le pianiste inspire longuement et s'élance sur les planches noires et blanches.
Ses doigts marchent d'abord doucement sur les touches, sans réellement les toucher, ils volent plutôt, les notes sont aériennes, discrètes, presque invisibles, mais la musique décolle. Quelques graves accords les soutiennent, leur font quitter la terre pour le jardin d'Eden. C'est une brise pure qui s'échappe du piano, qui souffle entre les cordes vibrantes.
Puis tout s'enflamme. Les danseurs s'enfuient en tous sens, la scène a pris feu. L'incendie gagne l'essence même de la musique et la consume, en un instant, son cœur n'est plus qu'un tas de cendres, où se cache un phœnix. La douleur et la puissance se mêlent aux notes enflammées. Et, devenus des torches vivantes, les danseurs propagent partout ce terrible incendie : la musique a pris feu. Elle s'est embrasée ; à l'aide ! La musique est en flammes !
Un silence – bref arrêt. Tout s'éteint, les cendres s'envolent. Mais, à peine a-t-on le temps de s'impatienter que déjà la musique reprend, à un rythme effréné. Une cascade de notes dévale le clavier, un torrent d'accords bouillonne, la musique se noie en elle-même, son agonie est belle, elle disparaît sous sa mélodie écumante. Le piano est inondé, mais les doigts savent nager, et ils sont maîtres du courant impétueux. Ce torrent en furie galope sans s'arrêter d'un bout à l'autre du clavier, de sa source à la mer, de la mer à sa source.
Mais il devient fleuve, rivière, puis ruisseau, et enfin il s'assèche, finit en un murmure. La mélodie, tarie, se réveille de nouveau, c'est le printemps, tout doucement. Il n'ose pas s'inviter sur la partition. Il fait quelques pas hésitants sur la portée, comme un funambule, puis il descend sur les touches noires et blanches – des notes fleuries éclosent, intimidées, sous ses pieds, ses déployant en nuages colorés qui fanent aussitôt. Soudain, le printemps dérape, une longue chute, un grand bruit. Sans le faire exprès, il s'est imposé. La musique l'accepte, le prend dans ses bras, ils valsent tous deux longtemps sur une mélodie entraînante, plus de peur, plus de honte, ils dansent, simplement, accompagné des dix danseurs derrière eux comme des fleurs.
Ils s'arrêtent, essoufflés. Tous, les dix doigts, le printemps, la musique, tous saluent. Le pianiste se lève sous les applaudissements nourris. Il reçoit ces acclamations, heureux. Le morceau est fini, le piano n'est plus qu'un simple instrument de bois et de cordes, il n'est plus qu'un objet hanté de souvenirs pleins de musique.
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"Matt Lauer lui avait demandé si des enfants étaient morts dans la Zone, elle avait répondu : "Des tas. C'est pas Disneyland par ici !" Michael Grant, Gone.
"Je suis tombée amoureuse pendant qu'il lisait, comme on s'endort : d'abord doucement et puis tout d'un coup" John Green, Nos étoiles contraires
"BWAAAAAAA !" Totoro !