Je t'attendais depuis toujours.
Tous mes sens étaient en éveil, à l’affût de ta chair, de tes odeurs toujours chancelantes, de ta voix, de ta bouche.
Si je t'ai d'abord chéri comme une enfant, tu devint à mes yeux un géant. Et par la suite mon Idéal.
Je n'avais auparavant jamais vu tant de liberté, de spontanéité. Tu étais intouchable, comme le vent. Pourtant, combien de fois n'ai-je senti ton souffle brûlant se coucher sur ma peau ?
Enfant, j'allais au bord de la mer.
Je ne m'y suis jamais baignée, par peur d'effriter cet eau que l'océan dégorgeait ; par méprise qu'elle se fâche et ne m'engloutisse. Je regardais donc ma mère s'y jeter et elle devenait une héroïne : armée de ses palmes, elle battait l'eau avec une maîtrise de l'élément qui me bluffait. Elle revêtait sa combinaison et devenait chevalière ; commençait alors un combat rude.
Elle s'enfonçait dans la mer pour mieux resurgir. Haletante, elle usait de ses bras pour pousser les mouvements ambulants de la méchante qui n'hésitait pas à l'écraser de sa masse énorme. Je retenais mon souffle, attendant sa victoire.
Ma mère ne perdait jamais.
Comme toi. Tu étais grandiose. A la fois tout et peu mais jamais rien. Tu étais la combinaison de tous les rêves, de toutes les passions écarlates.
Un cyclone prit naissance en moi. J'attendis toute ma vie que ce tourbillon éclate. Sa constance, son même mouvement de virevolte régulier finirent par m'irriter. Je m'en lassais.
Je voulais être le volcan que tu étais : désirer et jouir de tout à la fois, être un furieux de la vie. Ne pas réclamer mais prendre. Prendre.
Mais je n'ai jamais eu le courage. Pourtant, il m'en aurait fallu tellement... Pour aimer, pour apprendre, pour vivre.
Adolescente, j'allais à la montagne.
Je n'ai jamais pris le soin de la découvrir, par peur de m'y perdre parmi ces arbres maîtres des lieux.
Grand-mère disait toujours que c'est en montagne que l'on découvre et prend conscience des beautés cachées et des choses essentielles. Il semblait que ce lieu était pour elle un purifiant comme il n'en existe aucun. Elle y pénétrait les rides pendant sous le poids de l'âge et le sein tombant sous le poids d'amants. Là, elle laissait l'air vierge souffler dans ses poumons. Et je pouvais voir sur son visage, les lèvres que le temps, mesquin, avait pour coutume de tirer vers le bas, se transformer en un arc, dessinant un sourire.
Je regardais grand-mère devenir une autre. Et quelle splendide métamorphose cela était !
Comme ces hauts troncs, elle devenait invincible, trop haute pur être atteinte.
Elle courrait alors, pieds nus sans se soucier d'une quelconque douleur, sur ces montagnes sacrées, lâchant des cris d'allégresse.
J'assistais à sa renaissance, silencieuse.
Et elle me faisait penser à toi. Toi, qui conduisait la Mercedes dans un élan de folie. Tu hurlais comme si tu étais seul au monde et je sentais de la banquette arrière le doux parfum de tes cheveux que le vent me renvoyait au visage comme une drogue. Je rentrais alors dans un état de transe, fermais les yeux et rejetais la tête en arrière, plongeant dans mes chimères illusoires, bercées par le cri rauque que tu dirigeais au ciel. Tu ignorais tes peurs et défiais tout ; hommes et dieux. Tu étais d'une race supérieure. Et moi, je ne sus pas sortir de mes rêves, tandis que tu vivais les tiens. Libre, libre, libre.
Adulte, j'allais dans les métropoles.
Oh ! Te souvient-il ? Nous étions ivres dans ces villes qu ne dormaient jamais.
Je ressentais pour elles une admiration secrète ; car tandis que le soleil se couchait, elles ne rentraient jamais dormir. Comme nous qui nous laissions bercer par la musique dans les rues de Barcelone, dans les cafés de Paris, dans des palais à Londres. Souvent, je confondais le tempo du jazz que ces musiciens jouaient à Frisco* avec les battements de mon cœur.
Boum... boum... boum.
Je devenais folle et tu me regardais, le sourire aux lèvres, me livrer à des crises de joie. Le bonheur ne fut jamais aussi proche de moi : je le sentais des orteils aux cheveux. Dans tous mes organes, il rugissait comme un lion affamé.
Et nous faisions l'amour. Oh ! Nous faisions l'amour. Et tu m'embrassais avec une passion proche de la torture. Mais quelle torture délicieuse. Tu pressais mes seins comme si la fin du monde allait nous ébranler. Mes jambes s'emmêlaient aux tiennes, et je te sentais pénétrer en moi avec la force d'un surhomme ou la tendresse d'une sucrerie. Autant de jours il y avait, autant de façon de faire l'amour nous façonnions.
Mais celle que je préférais était de loin celle où ton désir était aussi puissant que ton amour. Je te sentais brûler en moi, tandis que je fondais sur toi. Toi.
Au fond, tu savais que je t'attendais depuis toujours.
*Frisco : San Franciso
- Correction de Rimi:
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![Je t'attendais depuis toujours [TP] 130101075310365731](https://nsa32.casimages.com/img/2013/01/01/130101075310365731.png) | Tout mes sens => Tous mes sens
chérie => chéri
Revêtissait => revêtait
baigné => baignée
ressurgir => resurgir
Un cyclone pris => Un cyclone prit
réguilier => régulier
poid => poids
elle laissait l'air vierge soufflait => elle laissait l'air vierge souffler
que le vent me renvoyer => que le vent me renvoyait
une race supérieur => une race supérieure
je ne su => je ne sus
Je ressentais pour elle => Je ressentais pour elles
nous laissions bercés => nous laissions bercer
que ces musiciens joué => que ces musiciens jouaient
déclicieuse => délicieuse |