L’homme se rapproche de moi. Il n’est plus qu’à dix mètres, désormais. Je le regarde toujours droit dans les yeux, sans lâcher mon regard. Moi, Léo, du haut de mon mètre et demi, tient bon face à cet homme.
Soudain, je le vois lever son bras.
Et puis plus rien. Je ne sens plus mon corps. Je sens juste que l’on me déplace, que l’on m’emmène loin de chez moi, loin de ma famille, loin de mes amis, loin de tout. Je ne reverrais plus jamais mon village natal. Non. Tout ça, c’est fini.
Et je me laisse bercer par les secousses du trajet.
J’ouvre un œil, puis le deuxième. Je me rends presque aussitôt compte que je suis chez moi. Je vais enfin revoir ma chère famille !
Tout heureux que rien ne me soit arrivé, je me mets à sauter de joie. Finalement, cet homme ne me voulait peut-être pas de mal.
Je bondis partout, heureux que rien de méchant ne me soit arrivé. Et soudain, BOUM, je me cogne. Je me suis cogné à une vitre. Or, il n’y en a pas chez moi. Je me retourne. Ma maison me paraît bien la mienne, pourtant, mais… Non, ce n’est pas la mienne. Je le vois de mes yeux, tout paraît exactement identique, mais il y a quelque chose de différent. L’air. L’air n’est pas le même. Je n’ai pas cette odeur de pleine nature, cette odeur de mes frères jouant à chat perché et se salissant. Non. C’est un air… vivifié. Il n’est pas naturel.
Tout à coup, je vois une porte qui s’ouvre dans un coin sombre de la pièce. Un homme s’avance, avec un bon repas dans les mains. Un repas ! C’est vrai que j’ai faim ! Avec toutes ces histoires, j’en oublie de me nourrir ! Je cours alors à toute volée vers ce bon repas, qui, me semble-t-il, n’attend que moi, et moi que lui.
Et là, je m’arrête net. C’est Lui. C’est l’homme qui m’avait emmené ici.
Ma faim se transforme alors en fureur. J’ai soif de vengeance. C’est lui, qui m’a séparé de ma famille, lui qui m’a amené ici. Je fonce sur lui. Pris de panique, il commence à reculer. Mais trop tard. J’empoigne le repas à deux mains, et le lui jette à la figure. Quel drôle de spectacle ! Voir ces fruits et ces légumes dégouliner sur cette tête, rouge de fureur, aurait fait rire les plus endurcis !
Je m’arrête de rire aussitôt. L’homme a plongé son bras dans sa poche, et en sors une arme hypodermique. Je le sais, car j’en avais déjà vue en allant chasser avec papa.
Et soudain, je le vois lever son bras.
Et puis plus rien. Le bruit de la détonation résonne encore dans ma tête. Cette fois, c’est bien fini.
J’entends des bruits. J’ouvre les yeux, et me lève. Une foule de personne me regarde à travers la vitre. Des personnes âgées, des enfants, des parents… Tous les âges sont réunis devant moi. Ces personnes viennent, me regardent, puis repartent. Et tout à coup, j’entends un petit garçon de huit ans, habillé d’un pull-over rouge et d’un bermuda bleu, demander à son père :
« Dis, papa, tu crois que ce singe peut nous comprendre ?
- Tout est possible, Nicolas, tout est possible… »
Le troubadour