Tu es forte. Tu ne pleureras pas. Tes amis sont étendus par terre, tachés de leur propre sang mêlé à celui des infectés décimés. Les murs autour de toi sont effondrés, criblés de balles et l'hémoglobine fraîche y coule encore. Il fait terriblement froid, le vent hurle avec ton arme et tes cheveux volent autour de ta tête. Tu as faim, tu as mal, cette nausée te noue les tripes et la gorge mais tu es forte, alors tu continues à te battre et tu t'accroches corps et âme à cet espoir, ce tout petit espoir qui te garde en vie. Ce petit espoir qui prend forme dans celui que se tient derrière toi, tout aussi dévasté, tout aussi frigorifié... et tout aussi effrayé. Mais il est encore là, et il est maintenant la seule chose qui compte pour toi.
Même si d'une manière, il l'a toujours été.
Tes doigts cherchent ta gâchette mais quand ils appuient, rien ne se passe. Tu refuses d'y croire, alors tu essaies de nouveau, encore et encore, et les infectés sont de plus en plus proches alors tu dois te rendre à l'évidence : ton arme est vide. Tu la jettes par terre, le métal claque et tu attrapes le pied de biche attaché à ta ceinture. Tu respires un bon coup et tu penses à lui, tellement fort, parce que en ce moment tu as besoin de tout ton courage. Tu jettes un coup d’œil, peut-être le dernier. Il est là, il est derrière toi, tout va bien. Alors tu te lances dans la bataille corps et âme et tu frappes de toutes tes forces le moindre zombie qui ose s'approcher de toi. Il y en a tellement, cette bataille semble sans issue. Mais tu te bats encore parce que si cet enfer que tu vis t'a appris une chose, c'est bien que l'espoir est un choix et qu'il ne tient qu'à nous de le laisser mourir. Tu frappes, tu coupes, tu brises. Plus rien ne peut t'arrêter, tu es invincible.
Puis soudain tu entends un cri. Beaucoup trop humain pour qu'il te rassure.
Tu jettes un deuxième coup d’œil. Il n'est plus là. Ton cœur rate un battement, tes mains tremblent, tu as tellement peur. Tu continues d'attaquer mais cette fois c'est pour pouvoir te retourner et te frayer un chemin jusqu'à lui. Où est-il? Tes yeux examinent l'endroit en son ensemble, tu ne le vois pas, tu ne le vois plus, tu n'oses pas imaginer le pire et pourtant tu dois t'y résoudre. Lentement, tu regardes vers le bas, vers les corps de tes amis déjà loin, et c'est là que tu le trouves. Étendu par terre, hébété et pantelant.
Non, non, tu ne veux pas y croire, c'est impossible, pas maintenant, tu n'es pas seule, tu n'as jamais été seule, tu ne le seras jamais. Il ne peut pas te laisser seule, pas vrai? Non. Non.
Finalement, tu es à ses côtés. Plus rien autour de toi n'a de valeur parce qu'il est là. Tu te penches, tu le regardes, tu halètes, tu paniques. Tu te remémores ces rudiments de premiers soins que tu as appris et tu prends son pouls. Ton cœur manque un autre battement : il vit. Il vit encore.
-Tom... Eh, Tom...
Un faible murmure s'échappe de ses lèvres et enfin tu respires. Il est vivant et il est encore conscient.
-Je suis là, t'inquiète. La Pyromane va te sauver, hein?
Tu pleures. Tu sens les larmes couler sur tes joues. Chaudes et salées. Tes mains tremblent, ton système fonctionne au ralenti, tes yeux sont brouillés. Tu cherches sa blessure et tu la trouves : son cou est à feu et à sang. Ouvert par un coup de griffe d'infecté. Tu réprimes un soubresaut de dégoût, et tu arraches du tissu sur ta veste pour arrêter ses saignements. Quand tu poses le bandage de fortune sur la plaie, il tressaille.
-Chut, chut... Je sais, ça fait mal, mais c'est ça où je te laisse crever là...
Tu tentes de rire de ta propre blague et puis tu réalises à quel point elle n'est pas drôle. Il ne va pas mourir, pas tant qu'il sera sous ta garde. Jamais.
-Will... murmure-t-il.
-Ouais. Je suis là... Ça va. Ça va.
Tu as cette impression affreuse que tu essaies de te convaincre toi-même. Bien sûr que ça ne va pas : tes amis sont morts, les infectés t'entourent, l'enfer est remonté sur terre. Et celui que tu aimes est étendu par terre, suspendu au bord du gouffre et il chavire, il vacille, il va tomber.
-Ça.. va, répète-t-il, se forçant à ce qui ressemblait à un demi-sourire.
Tu vois ses lèvres tordues, tu ris et tu pleures en même temps. Ça ne va pas, c'est encore plus indéniable pour lui, et pourtant il approuve tes mensonges et garde le sourire, du moins tout ce qu'il en reste. Une de tes larmes tombe sur sa joue. Ses yeux te fixent.
-Will.
-Oui?
-C'est fini.
Tu t'arrêtes brusquement de bouger.
-Comment ça, c'est fini? tu demandes.
-Moi. Tout. C'est fini, articule-t-il entre deux souffles.
Non. Ton menton tremble, tes yeux te piquent, tu ne comprends pas, tu ne veux pas comprendre. Ça ne peut pas se terminer comme ça... Ça ne peut pas se terminer. Tu vas l'aider, l'apporter en lieu sûr, et tu vas le soigner comme tu l'as toujours fait pour les autres. Ça ne peut pas...
-La mort, complète-t-il.
-Arrête de dire des conneries, d'accord? Personne ne meurt aujour...
C'est faux. C'est faux. Ils sont tous étendus sans vie autour de toi. C'est faux, tu mens, c'est horrible. Ils sont morts. Disparus. Ils ne respirent plus. Ils ne sourient plus, ils ne parlent plus, leur bataille est finie, ils sont morts. Ils sont morts aujourd'hui : tu mens.
-Merci.
Vos regards s'enlacent et tu n'oses plus bouger.
-Désolé...
Les larmes coulent encore. Tu lâches sa blessure et tu attrapes sa main. Il sourit, mais son sourire est tellement faible. Il part, tu le sens. La chaleur le quitte, il part loin, il te laisse seule et démunie.
Son souffle se fait plus saccadé. Tu sais qu'il cherche son air avec difficulté. Ces mots te remontent à la gorge, te narguent, dansent sur le bout de ta langue. Tu veux le dire, tu veux lui dire, mais même si tu lui dis il sera trop tard. Ça ne peut pas le ramener. Rien ne va le ramener. Tu pleures.
-Will... Je... Je t'ai-...
Il s'arrête. La vie quitte ses yeux comme elle quitte son corps. Sa main est molle dans la tienne. Plus de chaleur, plus de sourire, plus rien de lui. Plus rien. Rien.
-Moi aussi... bégaies-tu entre tes sanglots.
#signénamyon #drame-tragédie #surnaturel