Rémanence
Ne pas jouer avec les neutrinos. Ne pas jouer avec les neutrinos. Ne pas jouer avec les neutrinos....
Ça semble inoffensif un neutrinos, c'est si petit. Tellement petit. Tellement commun. Il y en a dans chaque atome. Une simple brique de matière...
Mais la matière c'est le réel. Le réel, notre réel, tel que nous l'entendons, c'est l'espace temps.
Modifier la matière, nous le faisons tous, c'est courant. Quelque soit l'échelle, cosmologique, planétaire, humaine, moléculaire, atomique, sub-atomique... ces modifications se font même indépendamment de nous, naturellement. On en observe tous les jours.
Mais les neutrinos c'est autre chose. Ces saleté là, quand on y touche, on ne modifie pas la matière, on modifie la NATURE de la matière. Et forcément, la nature du réel...
Les choses auraient pu plus mal tourner. L'incident aurait pu se propager au monde entier. Au lieu de cela, j'ai été le seul exposé. Bon, en même temps, c'était ma théorie, mon labo, mon argent mon expérience et... mon erreur.
On ne devrait pas jouer avec les neutrinos et encore moins dans son garage. Pourtant mes calculs étaient parfaits : je pouvais modifier la matière. Je n'avais même pas besoin d'une grande source d'énergie ni de matériel sophistiqué. Juste l'idée, un peu de bricolage, et un peu moins de deux cents euros de matériel achetable chez n'importe quel outilleur de grand surface. Une révolution à portée de tous. Transformer les déchets en air pur, en or, en plomb, en uranium, en n'importe quoi. La fin de toute pollution, la contrôle absolu sur la matière, une ère nouvelle...
J'avais tout ça à portée de main.
Ça marchait pourtant !
Si seulement je n'avais pas pas eu la main lourde sur la quantité de matière pour le test. Si je n'avais pas pris peur devant le dégagement de chaleur. Si je n'avais pas poussé ce juron quand la table a commencé à brûler. Si ma femme n'était pas entrée dans le garage pour comprendre pourquoi je m'agaçait. Si je n'avait pas foncé sur mon installation pour tout arrêter afin qu'elle ne soit pas blessée. Si je n'avais pas sottement trébuché...
Toujours est-il que je suis maintenant atteint de persistance : ma matière persiste dans le temps et dans l'espace.
Si je me déplace, je laisse derrière moi une longue traînée de... moi. Une traînée dense, immuable, figée, indestructible.
Les choses auraient pu se passer simplement si l'univers avait été simple : il aurait suffit que je ne bouge pas. Mais je ne pouvais pas ne pas bouger : la planète tourne sur elle même, et elle tourne autour du soleil, qui lui même tourne dans la galaxie, qui se déplace elle aussi...
Même sans vouloir me déplacer, je générais un long ruban de destruction qui s'allongeait à la vitesse inimaginable où se déplacent les corps célestes. Autant dire que quand la terre tournait sur elle même et entrait en collision avec ce ruban les dégâts étaient impressionnants.
Jouer avec des neutrinos et découvrir par hasard le fil à couper les planètes...
Je ne sais pas qui a eu l'idée de la solution, mais compte tenu de la panique générale, je comprends qu'ils l'aient prise : avant que la terre aie pu faire une nouvelle rotation, quelques missiles ont frappé ma maison. Le sol s'est volatilisé. J'ai été projeté en l'air. Haut. Très haut. Et vite. Très vite. À ce moment là, ma traînée était dirigée vers le haut, elle a sans doute freinée ma chute. Elle l'a freinée au point que le sol détruit à continué à s'éloigner. J'ai vu la terre diminuer, devenir un point, puis je me suis endormi et je n'arrive plus à la distinguer des autres points qui ponctuent le ciel. Je vois encore le soleil, mais il diminue vite. Je ne pensais pas qu'il se déplaçait à une telle vitesse.
Je vais rester là, seul dans l'espace à fixer le vide. J'aimerais pouvoir mourir, mais... je suis persistant.