Sujet - n°90

Tout doucement, tes doigts glissent sur les hanches de ton promis, son visage se perd dans son cou, tes narines s'enivrent de son parfum capiteux. Il te fait virevolter sur les planches de danse, rendant jaloux les autres couples, attirant les regards sur eux.


La bague qu'il t'a mis au doigt brille sous la lumière des projecteurs, ton cœur est empli de douceur. Et Cahal te fait danser comme si demain n'existait plus, comme si votre amour allait s'envoler quand le jour se lèvera. Ce que tu ne sais pas encore, c'est que ce n'est pas ton amour qui se fait voler mais bien ton cœur. Ton cœur se fait dévorer tout entier par les yeux vers de l'irlandais. Ce coeur que tu avais caché dans une cage se remet doucement à battre.



Tes doigts se perdent maintenant dans les boucles épaisses de ton homme, s'y agrippant légèrement lorsqu'il te fait se balancer un peu trop dangereusement. Mais tu ris, tu ris de bonheur. C'est magnifique. Tu oublies les regards qui peuvent être pesant sur vous deux, couple phare et inquiétant de la ville. Tu oublies les choses horribles que tu as du faire pour en arriver là, tu oublies les choses qu'il a du faire pour avoir la position qu'il occupe actuellement.
Car vous dansez, vous dansez au son de la musique, de la voix de velours du crooner sur la scène, usant vos chaussures et les lattes de bois sous vos pieds. Vous êtes seuls, seuls dans votre tendre bulle, regards plongés l'un dans l'autre, cœur battant l'un contre l'autre.
Tu pourrais retomber amoureux.

Une odeur de térébenthine
[tout public]

Nous écoutions les Doors, Simon and Garfunkel, Gainsbourg : nos préférés parmi ce qu’elle avait comme cassettes. Elle peignait, j’écrivais, nous bavardions en buvant de la bière et parfois de la tequila. Sous mes yeux elle préparait les couleurs, touillant et rajoutant, rajoutant et touillant jusqu’à obtenir la teinte voulue. Son pinceau allait et venait entre la palette et la toile. Palette de fortune, ce qu’elle avait sous la main en tenait lieu. La toile requérait plus de soin ; elle la confectionnait elle-même. Elle sciait le bois et l’assemblait, y clouait le tissu puis l’enduisait. J’étais en admiration devant tant d’autonomie.

Parfois le pinceau s’arrêtait au verre de térébenthine, parfois c’était sa main qui saisissait le verre de bière. Les pauses clope remplissaient le cendrier, l’atmosphère s’épaississait pour devenir un ciel proche et protecteur. Il faisait nuit, bien sûr. C’était toujours de nuit que la magie opérait, transfigurant la chambre qui devenait atelier, théâtre, navire céleste.

Aujourd’hui encore, dès que j’entends la voix emblématique de Jim Morrison, tout me revient. Je sens la présence sororale de la lune, la chaleur de la bière au fond de moi, et la puissante et familière odeur de la térébentine envahit la pièce. Les textes d’alors sont dans mes archives, j’y farfouille parfois à la recherche de cette époque. Quelques-unes des toiles ont péri dans l’incendie de mon appartement. Les autres sont chez elle, au mur ou remisées dans un cagibi. Elle m’en a confié une, c’est une femme qui pleure dont la douce présence illumine ma chambre.