Navigation


 Ecrits publiés


 Retour au forum

Encre Nocturne   

Ban de Benoïc

Alton | Publié mer 19 Juil 2017 - 10:30 | 787 Vues

La nuit était bien avancée quand les deux hommes posèrent enfin pied à terre, devant les murailles de Trèbe. C'était une de ces nuits agréables de début d'été. Une des nuits les plus courtes de l'année. Le crépuscule s'était éteint depuis peu et il n'y avait plus que quelques heures de pénombre avant que le soleil n'enflamme de nouveau les cieux. L'humidité des mares ne parvenait à atténuer la douceur ambiante, un vent serein donnait vie aux banches sublimées par la lumière de la lune. La chorale des grenouilles et oiseaux de nuit rendait l'atmosphère irréelle,  quasi féerique.

Ban de Benoïc avait toujours été fier de ses terres, qu'il considérait après sa femme, comme sa plus grande richesse. Il se plaisait à philosopher sur les pontons vermoulus ou sur les rives des canaux de ce royaume. Ce soir, il n'avait pas l'esprit à se préoccuper du caractère idyllique du marais. Tout était si noir dans sa tête qu'il ne remarqua même pas l'étonnant spectacle qu'il lui offrait.  Tout était si noir, qu'il ne pensa pas à la menace qui pesait sur ce royaume d'eau et de terre, il ne pensait plus qu'à Elaine, sa femme et à son fils.


Quand il descella, Ban poussa un cri, à peine son pied toucha la terre battue, qu'une douleur atroce l'envahit, partant de son flanc meurtri et se répandant dans tout son torse. Il tituba, sera les poings pour avancer d'un pas et ne pas crouler sous propre poids. Aussi stable sur ses jambes que son état lui permettait, il passa la main sur sa blessure, précipitamment, mais avec une grande maîtrise, fermée par son écuyer. Le jeune homme inquiet, accourut à l'épaule de son maître.


Avec une force inhabituelle chez les jeunes hommes de son rang, signe de la violence des événements récent comme de la bienveillance de Ban, qui ne s’évertuait pas à briser la confiance excessive de son écuyer, il tenta de le tempérer. 


- Messire, vous devriez me laisser vous accompagner, à cette heure, qui viendrait vous aider si vous tombez ?
Sans se retourner et en continuant d'avancer d'un pas chancelant, il répondit le souffle coupé par les côtes endolories.
- Non Michel, je ne tomberai pas, pas aussi près ! Ta nuit n'est pas finie, fait préparer sur l'heure les trois meilleurs chevaux que nous avons ! Si nos gens d'écuries, encore abrutis par le sommeil traînent, n'hésite pas à les bousculer ! Il nous faudra être le plus loin possible à l'aube ! Une fois fait, attends moi ici même, je ne serai pas long. Avant tout, apporte moi mon épée.

Michel s'exécuta, il tendit Courroux, l'épée de son maître qui ne prit pas la peine d’attacher à sa ceinture et fila d'un pas pressé. Laissant, à contre cœur son chevalier et roi marcher seul, boitant et soupirant à chaque foulée.


Ban, s'infiltra dans sa capitale comme un voleur. Il contourna la grande porte au profit d'un passage dérobé, coupa par les artères coupe-gorges et esquiva minutieusement les rondes de sa garde. Quand enfin il vit les murs de la cour intérieure, un soupir de soulagement lui échappa. Il se surprit à penser aux heures de gloire vécues derrières ces murs. À repenser aux clameurs des cors triomphants à son retour des campagnes menées au nom d'Arthur, nouveau Haut-Roi de Bretagne. À repenser aux accords festifs des violons célébrant les noces de Ban Roi de Benoïc et de la Reine Elaine. À repenser aux chants de son peuple fêtant la venue au monde du Prince héritier Lancelot. Puis il repensa à son frère Bohort, une macabre pensée lui vint à l'esprit, le rappelant à l'ordre.


- Les sentiments te tailleront aussi sûrement que la lame de Claudas ! Se murmura t-il pour reprendre la route.
S'en était hélas, bien trop pour lui. Il tituba un peu, résista autant qu'il pût et s'échoua contre un muret en lâchant un grognement de dépit et de colère. Attiré par le cri étouffé, un soldat en faction dans une ruelle voisine accouru. En position d'assaut, lance en avant, prêt à frapper, il brailla:
- Qui va là !
Encore étourdi par le choc Ban répondit d'une voie enraillée et caverneuse.
- Ban !
Même s'il ne voyait pas, il s'imagina sans grande peine le visage du garde se décomposer sous l'effet de la surprise. Abandonnant précipitamment sa lance qui tomba sur le pavé dans un tintement, il s'approcha.


- Mon Roi, vous ici, que se passe t-il ?
- Claudas nous a vaincu, mais il ne perd rien pour attendre !
Galvanisé par la détermination du monarque, l'homme se mit immédiatement en marche de bataille.
- Bien messire, que dois-je faire ? Convoquer les chevaliers défenseurs ? rassembler vos troupes ?
- Non, mon passage ici sera bref et doit être le plus discret possible, fais comme si tu ne m'avais pas vu cette nuit.
- Messires je ferai comme il vous plaira, mais vous semblez avoir besoin de soins. Laissez-moi au moins appeler notre médecin, il sera muet comme une tombe, j'en fais le serment.
Ban se leva difficilement, mais en aurait fait de même avec les deux jambes en morceaux, comme pour prouver au soldat et à lui-même qu'il n'avait en rien besoin de soins.
- Tu parles comme mon écuyer, jeune homme, dit t-il avec un sourire feint.
- Est-ce un tort Messire ?
Celui qu'on appelait parfois le roi philosophe, reprit, rappelant que même dans les heures les plus sombres, certaines choses doivent être immuables.
- Sais tu pourquoi on laisse aux soldats la responsabilité de garder ce que nous avons de plus vital et de plus cher, pendant que nous autres, nobles chevaliers, courront la campagne pour des choses aussi futiles que la gloire ?
Il fit non de la tête.
- Car vous pensez comme des sages alors que nous pensons comme des rêveurs.


Le jeune garde ne sembla pas comprendre où voulait en venir son monarque. Lui qui avait toujours rêvé d'aventures, d'amour courtois et de folles chevauchées, refusait de voir en Ban et sa troupe de valeureux chevaliers une horde de fous, comme il ne pouvait considérer comme sage sa vie martiale. Vie de tours de garde austères et de soirées de beuverie.

Voyant l'éclat d'honneur et de devoir dans le regard du jeune soufflée par le cynisme de sa remarque, Ban mit fin à l'entretien improvisé, étrange flamme de sagesse dans le chaos de violence qui le tourmentait depuis des heures.

- Je crois que ta vision de la chevalerie est fantasmée, soldat, tu peux retourner à ton poste, la relève ne devrait pas tarder. Bonne nuit.
En bon homme d'arme discipliné, il s'exécuta et Ban pût reprendre sa douloureuse marche. Ses bottes maculé d'une boue rougeâtre frappèrent le pavé quelques fois avant qu'ils n'échouent de nouveau au bout de la ruelle.


Un cris de colère, s'accordant à merveille avec celui de douleur, comme deux chœurs trop souvent à l'unisson, l'envahit. Ban trop fière, le contint dans une grimace peu digne de son rang. Comment pouvait-il souhaiter une bonne nuit à ce garçon ? Il savait qu'à son âge, lui sortait juste de son service d'écuyer et il savait ce qui arrivait au grand galop sur Trèbe. Claudas et son armée marchaient sur les murailles. Claudas le félon, l'impitoyable chef de guerre, meneur d'hommes aussi cruel avec ses ennemis que ses chevaliers. En plus d'être un redoutable bretteur, il était sournois et retors. Si les défenseurs de la cité réussissaient l'exploit de l’empêcher de prendre Trèbe par la force, il trouvera mille ruses pour faire tomber les hautes murailles. Claudas était le plus grand dangers que devait craindre Trèbe et pendant que Ban mettra son plan à exécution, les gardes se battront pour chaque pouce de terrain en haut des remparts.

Comment pouvez t-il lui souhaiter bonne nuit, en lui dissimulant l'approche d'heures aussi difficiles ? Où était Ban Le Roi Philosophe ? Et si le fracas des combats avaient déjà emporté l'honneur et la vertu de Ban ?
Il ne voulait pas y penser, il était un homme d'action et de sagesse, les pourtant indispensables doute et peur ne devaient le faire crouler maintenant.
Espérant être encore à porté de voix, il lança aussi fort que ses blessures lui permirent :
- Maric c'est ça ?
Il eut un instant de silence morne, même les oiseux de nuit semblaient s'être tût. Le calme dans la nuit noire s'étirait comme une nappe de plomb, alourdissant le moral de Ban.
Finalement, il répondit,
- Non, Adier monseigneur !
- Désolé, Adier.
Le garde ne répondit pas, il savait que bien peu de noble s'évertuaient à connaître le prénom de ses gens. Le roi reprit.
- Les heures qui vont venir seront difficiles pour nous tous ! Va chercher ton capitaine et dit lui qu'il est attendu par le seigneur Harold, évite de lui dire que je suis en ces murs.

Peu inquiet, le visage du soldat se durcit. Malgré sa jeunesse, il semblait prêt à en découdre avec les ennemis de son Roi. Sans un mot, il tourna les talons, la fierté et le sens du devoir le galvanisaient. Il attendait d'être utile depuis des mois, même si sa mission était bien futile, il sentait déjà la fièvre du combat prochain l'envahir.

Ban remarqua sans mal cette détermination, celle là même qui, selon la clémence du destin, amène votre nom dans les histoires de grands héros ou sur les lèvres de ceux qui pleurent votre disparition. Il voulut demander au garçon, une fois sa mission exécutée, de partir loin d'ici quelque temps. Ban détestait l'idée qu'un homme ne parte trop jeune, sans avoir eut le temps de fonder une famille, richesse à laquelle tous ses gens, qu'importe leur sang, devaient accéder. Mais il savait aussi que la jeunesse fait bouillir les sentiments sur des flammes de sens de l'honneur et de frisson du danger. Ban le philosophe n'oubliait jamais son adolescence de page puis d'écuyer belliqueux. Adier allait refuser la proposition et allait se battre comme les vétérans de sa caserne.

Un léger pincement au cœur, il reprit, boitant de plus belle. Ne tenant pas à entrer par la grande porte de son château dans cet état, blessée, l'armure en lambeaux, les poings serrés sur la garde de son épée sans fourreau, il contourna le mur d'enceinte et emprunta une entrée dans les cuisines.

La vue des pierres que ses ancêtres avaient posée et auxquelles il avait passé une grande partie de sa vie a instaurer la grandeur lui redonna du courage. Foulant un tapis offert, il y a des années par son frère, il se dirigea vers l'escalier qui donnait sur ses quartiers. Cet escalier que lui et la Reine empruntaient chaque jour avec la banalité du quotidien. Cet escalier que les serviteurs montaient et descendaient d'un pas pressé dans leur ballet d'aller et retours. Cet escalier que chevaliers, messagers ou conseillers escaladaient, avec eux bonnes nouvelles ou problèmes à soumettre au monarque bataillant sur tous les fronts pour maintenir à flot le royaume de Benoïc. Ce même escalier, avec son flanc ouvert lui apparaissait comme une nouvelle épreuve. Tâchant d'oublier la douleur, il s'élança.
Arrivé à mi-chemin de sa périlleuse ascension, il entendit une voie familière tonner derrière lui.

- Sir, que se passe t-il, pourquoi tant de mystères ?
Un petit sourire de soulagement échappa à Ban, une fois de plus le Seigneur Harold, avait été fidèle à sa réputation d'homme sur qui le Roi pouvait compter.
- Sir, vous êtes bien une des seules personnes que j'avais envie de voir cette nuit.
- Vous m'avez demandé de garder la cité, c'est bien la moindre des choses que je me présente à ceux qui s'infiltrent dans le palais.
Le chevalier Harold était fait du bois dont on fait les hommes de confiance des grands dirigeants. Se complaisant dans l'ombre des salles de conseil, des longues séances de doléances ou des camps militaires. Parlant peu, mais prodiguant des conseils éclairés, dont la rudesse plaisait parfois peu au clément Ban. Harold était souvent jugé inflexible et si la violence était sa solution, il mettait en œuvre campagnes, sièges, ou charges avec un pragmatisme efficace, parfois cynique, mais toujours nécessaire. Alors que l'affrontement contre Claudas prenait une tournure effrayante. Harold était une carte que Ban ne pouvait se permettre de jouer dans un coup pour rien.
Arrivé en haut de l'escalier, Ban se retourna et plongea son regard vert émeraude dont ni les cernes ni le désespoir n'avaient réussit à atténuer l'éclat, dans celui de son lieutenant.

- Sir, vous l'avez compris, la situation est grave, je vous retrouve dans la salle du conseil, j'ai a faire, mais je serai bref.
Sans attendre de réaction il reprit sa marche d'un pas encore plus frénétique, porté par l'inquiétude et l'impatience. Harold lui emboîta le pas dans l'escalier et se dirigea vers la salle.
Une vague de soulagement déferla sur Ban en saluant le garde en faction devant la porte des quartiers royaux, cette fois il n'eut aucun mal à se rappeler de prénom du lancier à la stature colossale qui était dans l'ombre du château depuis des lunes.
- Merci Arnault, lâcha t-il en arrivant à son niveau. Incrédule, le soldat tenta une question
- Sir, personne ne vous a annoncé, la Reine et le Prince doivent dormir, que se …
Il fut coupé,
- J'aurais aimé entrer dans cette chambre dans d'autres circonstances.
Il pénétra dans la pièce en trombe, le bref soulagement laissa vite place au sentiment d'urgence. Sans ménagement, il cria,
- Réveillez vous !

Élaine, surprise par la voix, roula sur le côté de son lit, posa la main sur la table de nuit où ses doigts se fermèrent sur la garde d'un poignard. Elle se releva alors d'un bond pointant la fine lame dont l'éclat métallique révélait la finesse avec laquelle elle avait été forgée.
La surprise déforma son visage, elle jeta la lame sur le lit et se précipita aux côtés de son mari. Ban en fit de même appuyant son épée contre le mur, il enserra Élaine. La reine avait toujours eu un caractère trempé, la présence de cette dague, qu'elle n'avait pas sorti depuis des années prouvait néanmoins son inquiétude. Elle assaillit Ban de questions.
- Par tous les dieux, Ban que s'est-il passé ?
Ban tenta de contenir, en vain un grognement de douleur quand leur deux corps se rapprochèrent.
- Désolé.
- Ce n'est rien, nous avons été vaincu Élaine, Claudas marche sur Trèbes, vous devez fuir, réveillez Lancelot, prenez le strict nécessaire, Michel est en train de préparer nos chevaux.
La reine posa ses mains sur la barbe de Ban, refusant de s'écrouler, elle répondit.
- Bien, vous venez avec nous ?
- Oui, je ne supporterais pas de vous voir partir seuls, je ne suis de toute façon pas apte à défendre la cité dans cet état, Harold le fera mille fois mieux que moi.
Bien que les bras de sa femme étaient d'un réconfort incommensurable, Ban s'en échappa et se dirigea vers une grande malle d'où il sortit une cape brune qu'il jeta sur son armure fracassée.
Couvrant les pleurs du nourrisson à peine réveillé, Élaine s'efforçant de garder son sang froid s'interrogea.
- Et le Sir Bohort ?
La question, tomba sur Ban comme un coup de masse. Durant un instant, il revit l'horreur des combats, entendit le fracas des lames contre les armures en pièces et les bouclier en morceaux, il ressentit de nouveau l'odeur de la peur mêlée à celle du sang et de la terre détrempée. Élaine lut dans le regard de son mari la fureur de la bataille. Même si cette absence ne la rassurait pas, elle choisit de ne pas interrompre la rêverie cauchemardesque de Ban. Il remit finalement les pieds sur terre et les mots sur le drame de l'affrontement. Mâchoire serrée, il expliqua avec une brutalité qui ne lui ressemblait pas.
- Quand j'étais en prise avec Claudas, il finit,
grimaçant il sembla hésiter une seconde,
- aisément à prendre le dessus. C'est lui qui m'a infligé cette blessure. Dos à terre, les chaire coupée et l'honneur brisé, j'essayais de repousser le sombre seigneur du bout de ma lame quand Bohort a volé à mon secours. Comme si ma cuisante défaite ne suffisait pas, il a fallu que mon frère se sacrifie pour me garder.
La reine pâlit,
- Vous... vous, voulez dire que le seigneur,
- Je l'ignore Élaine, une fois sorti de l'emprise de ce serpent, Michel a accourut pour tirer de la mêlée. J'aurai dû résister à ses bons sentiments, mais après mon pitoyable duel, je n'avais plus la force de me battre contre mon écuyer.
Élaine était abasourdie, Ban, lui approchait dangereusement du point de rupture, ultime frontière, qui, une fois franchie, piégeait les hommes les plus tenaces dans un abysse d'amertume et de regret.

Dans sa fuite éperdue, dans son retrait lancé au grand galop, c'était la hargne, les nerf et l'urgence qui guidaient le chevalier, le contrôlant comme une marionnette sans vie. Dans cette chambre, où il ne sentait plus chez lui, la douleur et la culpabilité avaient déferlé sur lui, emportant la flamme de combativité qu'il entretenait depuis que la lame de Claudas avait enfoncé son armure.

Pour ne pas tomber à genoux et contenir les larmes qui lui montaient aux yeux, il se chauffa lui-même à blanc, agitant dans son esprit, comme un ridicule épouvantail, l'image de son mortel ennemi. Comme si une aiguille s'était figée dans sa plaie, une nouvelle vague de douleur l'envahit le poussant à agir.

- Je ne serai pas long !
Tentant d'ignorer la douleur revenant en écho dans sa peau à vif, il força le pas vers la salle du conseil.
Le Roi, qui avait de plus en plus une allure de chevalier errant, ne fut pas étonné de voir par la porte grande ouverte, la silhouette du chevalier Harold, surplombant la lourde table du conseil. Les bras croisés sur son armure, encore fermée malgré l'heure tardive, Hanold entretenait sa réputation d'homme de confiance que personne ne voyait jamais dormir, toujours prêt à agir et ce, à n'importe quelle heure du jour comme de la nuit. Il accueillit Ban dans la pièce où l'avenir du royaume de Bénoïc allait se jouer d'un simple hochement de tête. Le roi lui rendit la pareille d'un simple

- Bonsoir.
Une voix derrière le surprit lui et ses plans.
- Bonsoir Sir.
Sans se retourner, le roi qui la reconnut sans aucune difficulté, relança d'un ton qui manqua de conviction.
- Bonsoir Sir Belmar, il ne me semble pas vous avoir convié cette nuit.
Peu impressionné par l'intonation monocorde, le nouveau venu s'installa. Il était de toute façon habitué à résister à son roi.
- La situation doit être grave Sir, je bafouerai mon serment en restant dans mon lit. Mon serment de chevalier et la promesse que je vous ai faite d'assister Harold durant votre absence.

Ban grimaça, espérant que la déformation de son visage soit mise sur le compte de la douleur, il lança un regard à Harold. Même si cela compliquait aussi les plans du principal défenseur de la cité, il n'en dit rien. Il était même plus probable qu'ils aient dans le même sens cette nuit.
Ban abdiqua. Il s'adossa contre le mur de pierre, place qu'il affectionnait particulièrement lors des conseils. Le coin droit de la salle lui permettait de voir toute l'assemblée sans avoir à tourner incessamment le cou. Il savait également que le simple fait de mener une réunion debout le démarquait de nombreux chefs de guerre et lui donnait un certain poids auprès de ses convives.

Il observa un instant le jeu d'Harold et de Belmar, installés chacun d'un côté de la large table. Ils se défièrent du regard durant quelques secondes avant de se tourner vers le Roi. Les deux hommes, liés par des grands-parents communs, avaient toujours eu cette relation rivalité-amitié très particulière. Ils se respectaient, s'admiraient sans doute mutuellement, faisaient front ensemble avec une efficacité remarquable, mais s'affrontaient parfois avec un acharnement redoutable. Ban, qui les avaient vus grandir et s'affirmer depuis leurs six ans, ne pouvait s'empêcher de voir là une relation quasi-fraternelle. Leurs jeux virils de leur enfance et adolescence, fait de luttes violentes, d'implacables pugilats et d'impitoyables passes d'armes avec des lames émoussées et de réconciliation avaient été remplacés à l'âge adulte par une plus silencieuse, mais tout aussi disputée lutte d'influence.

Ban ne pouvait expliquer pourquoi il faisait une confiance aveugle en Harold, alors que Belmar lui inspirait une légère méfiance. Les deux hommes se ressemblaient pourtant beaucoup. Ils avaient cette même allure austère de combattant fait de muscle et de nerfs. Ce même regard de détermination et volonté indomptable mélangé au bleu azur hérité de leur noble lignée. Ils avaient une philosophie de vie similaire, guidée par la noblesse, l'honneur et le sens du devoir. Toujours dans l'ombre de leur roi, ils aiguisaient leurs talents au combat comme leurs sens stratégiques pour porter toujours plus haut les couleurs du royaume qui les avait vus devenir les hommes qu'ils étaient. Les deux cousins étaient ceux qui tentaient de tempérer les instincts romantiques du roi philosophe et poète quand la situation du royaume demandait de se régler par le sang et l'acier. Bien que le duo bousculait parfois le roi par leurs solutions brutales, ils étaient tous les deux prêt à donner leurs vies pour lui. C'est dans leurs différences que se jouait la préférence de Ban, pourtant, par bien des points, Belmar était plus proche du roi. Son intransigeance était bien moins poussée que celle d'Harold tandis que son ambition comme sa vision du changement étaient plus développées que celle du chevalier aux méthodes plus passéistes. Sans doute est ce les moments difficiles vécus ensemble par Ban et Harold qui avaient forgé cette confiance.

Ban , cependant, n'avait pas le temps de différencier les deux faces de ce qu'on pouvait appeler une même pièces. Il entra sans détours dans les considérations stratégiques.
- Messieurs, comme vous l'avez sans doute deviné, Claudas nous a vaincu, trop orgueilleux, il s'est lancé à notre poursuite, il arrive.
C'était la troisième fois qu'il prononçait ces mots, mais devant ses plus fidèles lieutenants, ils furent encore plus douloureux. Une colère galopante, l'envahissait à chaque fois, toujours plus violente.
- Il faut se rendre à l'évidence, je ne suis plus que l'ombre de ce que j'étais, prendre les rennes de la bataille qui se jouera ici, à nos portes, à quelques pas de ce que nous avons de plus chère sera mon ultime erreur !
À cet instant, les deux hommes avaient déjà compris ou Ban voulait en venir. Harold se sentit envahit d'une grande fierté, mais sentit aussi le poids de cette lourde responsabilité commençant déjà à peser sur lui.
S'échappant dans un soupir de sa place lui offrant un confort tout relatif, il s'approcha du chevalier Harold.
- Sir, je vous demande de prendre la suite de ce que j'ai fait des années durant et ce pourquoi j'ai pu m'appuyer sur votre épaule.
Impassible, le nouveau défenseur de Trèbes, ne perdit pas son habitude à la sobriété.
- C'est un honneur Sir, je jure que je me montrerai digne de la tâche que vous me donnez.
- Je n'en doute pas !
Surprenant la petite assemblé, Ban tendit alors la garde de son épée au chevalier, qui cette fois-ci ne put cacher son étonnement. Le roi confirma.
- Tenez, elle vous sera bien plus utile qu'à moi désormais. Hésitant, Harold finit par poser les mains sur la lame.

Il ne revenait sans doute pas que Courroux, l'épée désormais indissociable des exploits de Ban Roi de Bénoïc, allié des premières heures du déjà très grand Roi Arthur, tombe cette nuit entre ses mains. Un léger pincement au cœur frappa Ban quand l'acier froid, quitta, sans doute à jamais la peau du roi. Il savait néanmoins qu'elle était entre de dignes mains. Il savait également, que trop reconnaissable, l'épée sera un obstacle de plus à la fuite de la famille royale.
Tâchant de garder une contenance, Harold promi de nouveau, ce simple don amplifia son courage, qui n'avait de toute façon jamais faiblit, aussi vite qu'il accentua les enjeux planant sur lui. Il fallut quelques secondes à Harold pour encaisser la foule de nouvelles, il se perdit un moment dans ses pensées, les yeux plantés dans son reflet sur la lame parfaitement aiguisée.

Pour Ban aussi la situation était douloureuse, il savait que ce jour viendrait, mais avait toujours refusé d'y penser, la chose était maintenant faite, le destin de Trèbes n'étais plus entre ses mains. Lui, devait maintenant se battre pour sa famille. Il tira un siège et s'assit lourdement. Quand le silence devint insupportable, le Roi se risqua à le briser.
- Claudas est un adversaire redoutable, j'ai conscience du poids de la tâche que je vous impose.
Un peu plus à l'aise avec l'épée, Harnold esquissa quelques mouvements. Ces simples gestes lui permirent de regagner son sang froid et son sens stratégique. Avec un ton que la présence entre ses mains de l'arme royale n'enorgueillissait pas, il tissa les premiers fils de son plan de bataille. Cette capacité d'adaptation, qui le poussait à accepter sans rechigner ce brusque changement de statut et à réagir en conséquence impressionna une fois de plus Ban.

- J'ai croisé une fois Claudas lors d'un tournoi, je n'étais alors qu'un simple écuyers. Lui qui se complaît dans ses terres désolées, va garder un bon souvenir de son excursion dans les marais. Les terres que vous chérissez tant vont jouer avec nous Sir. Dès que Claudas mettra les pieds dans votre royaume, son cauchemar commencera. Nous allons garder les passages les plus sûrs, piégeront chaque sentier trop aisés, il n'aura d'autre choix que de s'embourber dans les canaux et les marres. Je vous fais le serment qu'il arriveront exténués aux portes de notre ville et nous sauront les accueillir.
Harold dévoilait son sinistre plan avec un calme froid, distant, aucune idée de sadisme ou de joie de transposait dans sa voix. Il exposa point par point les mesures à prendre qui seront autant de tourments pour les hommes de Claudas. Il ne tuait pas par plaisir, mais c'était pourquoi son Roi lui avait confié son épée alors il était prêt à le faire.

Ban l'écouta un moment avant de le couper.
- C'était bien ce que j'espérais de vous Harold. Cependant, Claudas n'a pas un sens de l'honneur très poussé mais j'aimerais, que vous ne vous ne abaissiez pas à entrer dans une guerre de ruse et de lâcheté avec lui, vous êtes bien trop honorable pour cela. Combattez le avec la droiture avec laquelle vous m'avez toujours conseillé.

Harnold, qui s'attendait à une telle remarque de son roi sourit, Ban était bien trop prévisible. Un désavantage certain pour l'art brutal qu'était la guerre.
- Si je dois être déshonoré, moi et ma descendance jusqu'à la fin des temps pour que Trèbes règne encore sur tout votre royaume, je l'accepte. Si Claudas ne joue pas selon les règles, je tricherai encore plus que lui.

Le visage de Ban s'assombrit, il refusait de l'admettre, mais une partie de lui même était soulagée de voir sa cité gardées par des mains si volontaires.
- Soit, je vous connais malheureusement trop bien pour savoir que je ne pourrai vous en dissuader.
Ban se leva difficilement en reprenant,
- Sir, le capitaine de la garde ne devrait plus tarder, je l'ai fait venir. Je ne vous remercierai jamais assez pour tout ce que vous avez fait pour moi, puisse tout les dieux vous garder.
Harold, comprit le sous-entendu et l'accepta d'un humble hochement de tête, ce ne fut pas le cas de Belmar. Le chevalier se leva, et d'une voix tremblante sous la colère, interpella le Roi prêt à quitter la pièce.
- Alors voilà, c'est tout ? Vous avez été battu, alors vous nous abandonnez, comme ça, un soir sans prévenir personne, avec pour seul gage une épée. Un misérable bout d'acier, comme si cela suffirait à nous faire accepter l'idée que notre roi fuit comme un lâche.
Plus fière que Belmar, Le chevalier Harold ne qui ne supportait ni l'insulte ni le manque de respect envers les épées, sentit sa mâchoire se crisper. Ban le fit taire d'un geste de main avant qu'il ne décoche une réplique cinglante. En des temps plus sereins Ban aurait sans doute sourit et philosophé devant cette attaque, mais il voyait le ciel s'éclaircir et n'avait plus de temps à perdre. Il durcit le ton.
- Je ne vous abandonne pas Belmar, mais il faut se rendre à l'évidence, ici je ne serais qu'un poids pour vous. Je le refuse. J'emmène Lancelot et Élaine dans le Berry, là je demanderai l'aide du Seigneur Meladon. Claudas ne s'en sortira pas aussi facilement, je traquerai jusqu'aux Terres de Sel si besoin, mais pour cela il nous faut des alliés.

Cette fois Belmar ne fit aucun effort pour cacher sa fureur.
- Meladon, vous préférez vous cachez derrière ce nobliaud, que d'affronter vous même votre ennemi sur vos propres remparts. Pourquoi pensez vous qu'il bougera ses chevaliers, son armée et sa bedaine pleine de gras pour votre querelle avec Claudas ?
Sans hausser la voix, Ban se fit encore plus cassant.
- Vous avez combattu comme moi aux cotés de Meladon, c'est un seigneur irréprochable, doublé d'un homme de parole et de confiance. En revanche, un chevalier qui ne reconnait pas la valeur de ses frères d'armes, n'est pas en mesure de donner des leçons !
- Je ne crois pas qu'un roi qui pense avant tout à mettre sa famille loin du danger le puisse également.
- Votre adoubement est bien loin je le crains Belmar, protéger votre famille fait aussi partie de vos serments.
Ban n'avait jamais était aussi brusque avec un des ses chevalier, il n’essaya même pas de se convaincre que la douleur et la fatigue altéraient son caractère, la situation lui échappait, tout simplement.

La colère faisant oublier le rang de l'homme qui se trouvait face à lui, Belmar porta sa main au pommeau de son épée.
- Suffit !
La voix d'Harold coupa la discussion qui était condamnée à s'embourber. Il se tourna vers le Roi,
- Vous n'avez peu de temps à perdre, partez et revenez nous vite. Vous avez ma parole que vous trouverez Trèbes aussi magnifique que vous l'avez laissé.
En guise de potentiels adieux, Ban posa sa main sur l'épaule d'Harold.
- Personne dans tout le royaume de Bénoïc et même au-delà, n'ignorera vos exceptionnelles qualités.
Ban quitta enfin cette salle, sans lancer le moindre regard à Belmar. Il essaya de chasser l'idée sournoise que Harold était peut-être au fond d'accord avec son cousin. Peut-être avait-il perdu la confiance de son meilleur chevalier, qui en l'aidant à partir, venait de se débarrasser d'un roi couard et encombrant. II était de toute façon trop tard pour reculer.

Il retrouva Élaine et Lancelot sur le départ, l'attendant prêt d'une sortie dérobée. Ban prit des bras de sa femme le panier protégeant le nourrisson dormant dans une bulle d'innocence. Avant la fin de l'heure, trois chevaux partirent au grand galop. Seule Elaine se retourna une dernière fois pour voir le soleil se lever sur les toits noirs de la cité.

À propos de l'auteur